- Bonjour Mme l’Ambassadrice,
Bonjour.
- Je vais vous poser une série de questions, premièrement relatives au métier d’ambassadrice, ensuite nous aborderons le sujet du fonctionnement de l’ambassade et nous finirons par un point sur les relations franco-lettonnes. Premièrement, pouvez-vous brièvement vous présenter en spécifiant votre parcours scolaire ainsi que votre parcours professionnel ?
Je m’appelle Aurélie Royet-Gounin, je suis ambassadrice de France en Lettonie et ma carrière professionnelle a eu principalement pour cadre la diplomatie française.
En ce qui concerne mon parcours scolaire, j’ai fait un bac qui, à l’époque s’appelait A2 : il permettait de se spécialiser dans les langues et j’ai ainsi fait de l’anglais, de l’allemand, du suédois, avec en plus, des langues mortes. Le système est maintenant assez différent. J’ai ensuite poursuivi mes études à Sciences Po à Paris et une année de préparation aux concours et en parallèle j’ai commencé l’étude du letton à l’institut des langues et des civilisations orientales (l’INALCO). Ensuite, j’ai réussi le concours du Quai d’Orsay et j’ai commencé à travailler, ce qui m’a empêchée de faire ma troisième année d’étude en letton à l’INALCO et de boucler mon diplôme ! Je suis entrée au ministère des affaires étrangères en 1994, j’y ai passé l’essentiel de ma carrière, bien que j’en sois sortie plusieurs fois, notamment pour rejoindre à deux reprises un cabinet ministériel ou pendant trois ans dans notre École Nationale d’Administration.
- Et donc à présent, vous êtes ambassadrice de France en Lettonie, si vous deviez définir le métier d’ambassadrice, que diriez-vous ?
Il est toujours difficile de résumer les choses en trois mots, parce que justement, c’est un métier extrêmement diversifié. Je représente la France en Lettonie mais cela ne veut pas dire grand-chose. Je dirige, je coordonne l’action de l’ensemble des services de l’administration française présents en Lettonie : il s’agit d’un domaine assez large puisque nous avons une action diplomatique, politique, consulaire, de coopération, une action culturelle, une action économique, nous intervenons et nous communiquons sur des sujets extrêmement variés. C’est un métier dans lequel on nous demande à la fois de représenter les intérêts de la France, d’être un point de contact sur place, d’informer nos autorités quant aux événements ayant lieu en Lettonie ; les sujets de potentielle coopération, l’organisation des visites et la présence de délégations françaises de tout niveau et dans tout secteur relèvent également de notre compétence ; nous devons encore répondre à la presse lettonne quand des questions concernent la France. Les journées sont extrêmement variées.
- Vous êtes amenée à rencontrer de nombreuses personnes, exerçant des professions différentes, et sans doute lors de grandes réunions rassemblant les acteurs de plusieurs secteurs d’activité : quels sont les rassemblements auxquels vous devez absolument assister ?
On doit à la fois dialoguer avec les autorités lettonnes et les représentants de l’administration lettonne mais s’investir également dans tous les secteurs de coopération : on parle aussi bien de coopération policière, de climat et bien sûr de diplomatie, notamment en ce moment où nous travaillons beaucoup sur les questions de soutien et de reconstruction de l’Ukraine. Donc on rencontre des diplomates, tous les fonctionnaires de l’administration locale. On travaille avec beaucoup d’institutions internationales basées ici telles que le centre d’excellence de l’OTAN ou les différentes agences oeuvrant en Lettonie. On interagit avec la communauté française grâce à l’action consulaire, c’est une dimension de service public essentielle prise en charge par la section consulaire de l’ambassade. L’année est rythmée par de grands rendez-vous, on participe à de nombreuses réunions, mais chaque jour et chaque semaine sont différents. Il y a un certain nombre de rendez-vous annuels, mais j’imagine que ce n’était pas le sens de votre question ?
- C’était justement une partie de la question.
Il y en a énormément, multilatéraux et bilatéraux et aussi internes. Par exemple, le Forum économique franco-letton qui se tient de façon annuelle. Il y a des formats de rencontres régulières : les ministres des Affaires étrangères baltes + leur homologue français, tous les ans également. Il y a des rendez-vous européens réguliers qui rythment le fonctionnement de l’UE, idem pour toutes les enceintes internationales, la francophonie etc. En interne, il y a une conférence des ambassadeurs annuelle en France. C’est une très longue liste… En Lettonie l’année est aussi marquée par des rendez-vous comme le débat général de politique étrangère tous les ans mais aussi la conférence de Riga sur la sécurité, par exemple.
- Combien de temps reste-t-on en ambassade et comment se déroule la prise de fonction d’un nouvel ambassadeur, y a-t-il une certaine liberté concernant le choix d’un pays ou au contraire, est-il imposé, y a-t-il des listes d’attente, comment se passe ce processus ? La maîtrise des langues étrangères est-elle obligatoire ?
La question est différente si l’on parle des agents diplomatiques ou des ambassadeurs et ambassadrices. En ce qui concerne les ambassadeurs, tel que le dispose la constitution française, c’est le président de la République qui nomme à ces emplois. Le ministère des affaires étrangères propose des noms au président de la République, le président de la République en retient un. Avant cela, le processus se fait au sein des affaires étrangères où, pour les agents du ministère qui sont arrivés au grade nécessaire pour occuper ce type d’emplois, on va candidater sur les postes vacants. Cependant, ce sont des emplois « discrétionnaires », le président peut nommer qui il veut. Il peut s’agir de personnes qui ne sont pas du tout des diplomates de carrière, c’est le principe dans la diplomatie française. Dans un certain nombre de pays, j’ai des collègues qui étaient auparavant recteur d’académie, entrepreneur, militaire…. En ce qui concerne le temps passé à ce poste, la norme est normalement trois à quatre ans. Il y a tellement de paramètres extérieurs aussi, disons que la norme c’est trois à quatre ans mais il peut y avoir des situations où les chefs de poste restent plus longtemps ou moins longtemps en fonction de nombreux paramètres politiques et personnels. Ensuite, la procédure : quand on sollicite cette nomination, il faut aller convaincre les personnes susceptibles de vous identifier et de vous intégrer à la « short list » de noms proposés au président de la République. Je suis donc allée les voir pour les convaincre de l’intérêt de ma candidature. Pour ce qui est des langues étrangères, il est difficile de vous répondre : il est certain que pour aller en Arabie Saoudite, il vaut mieux parler arabe. Cependant pour un certain nombre de postes, il n’y a pas le même vivier de candidats qui peuvent maîtriser certaines langues étrangères moins courantes. Moi j’ai fait du letton pour des raisons d’intérêt personnel, d’engagement associatif dans mes jeunes années. C’était évidemment la raison pour laquelle j’avais envie d’être nommée ici, parce que c’est un pays qui m’intéresse, que je connais déjà un peu, dans lequel j’avais envie de représenter la France. La connaissance du letton était aussi évidemment un assez bon argument puisqu’on n’est pas très nombreux à avoir des connaissances dans cette langue, même si je ne la parle pas couramment et que je ne suis pas la seule au ministère ! Les ambassades ont aussi des collaborateurs recrutés localement, des interprètes, des traducteurs afin de pouvoir travailler le plus normalement et le plus au contact des populations et des autorités locales qu’il est possible sans nécessairement parler leur langue. Pour moi, le fait de pouvoir un peu parler en letton est une chance incroyable : on comprend quand même beaucoup mieux un pays quand on lit le journal le matin, quand on comprend la pub à la télé ou qu’on peut comprendre ce qu’il y a sur les affiches dans la rue, suivre les débats sur les réseaux sociaux… ça donne quand même une toute autre dimension à la connaissance qu’on peut avoir d’un pays. C’est quelque chose que j’apprécie énormément, dans mes prochaines affectations je n’aurai pas forcément une situation aussi favorable.
- Qu’est ce qui, d’après vous, définit une belle carrière diplomatique ?
Il y a certainement autant de réponses que de sensibilités différentes et les carrières sont très différentes. Certains vont avoir une appétence pour des secteurs précis, comme le stratégique par exemple et vont avoir envie de creuser une spécialité ou une expertise particulière. Certains vont avoir envie d’être à des postes difficiles, avec une autre dimension, une tension et des enjeux qui peuvent être très forts. Certains vont avoir envie d’être plus tournés vers les relations publiques, des postes où cette dimension est importante. On a au ministère des carrières variées où l’on va, au fil de sa carrière avoir l’occasion de ses spécialiser sur des questions régionales ou thématiques.
- On voit de plus en plus que le rôle de « l’information » est primordial tant pour forger l’opinion publique que dans les différents conflits actuellement traversés par notre monde. Comment s’informe-t-on en tant qu’ambassadrice, comment accède-t-on à l’info et à une info fiable ?
C’est très intéressant parce que justement ce qu’on attend de l’ambassadeur/ambassadrice, de nos collaborateurs ici, c’est de connaître, d’identifier les sources qui vont être intéressantes. Je disais justement l’autre jour à un nouvel agent qu’il faut se dire chaque jour que si on a passé toute sa journée ici au bureau, il y a un problème ! On devrait être tout le temps à l’extérieur à rencontrer les gens que ce soit dans les milieux d’affaires, dans les milieux politiques, dans la société civile. On a vraiment ce défi qui est de réussir à identifier les gens qui comptent ici, qui peuvent nous donner des informations « de l’intérieur », qui font changer les opinions.
C’est pour ça qu’on a aussi une activité très soutenue d’identification de ces gens, des gens à inviter en France dans toutes sortes de contexte. Oui, c’est vraiment important et même crucial pour notre activité : le réseautage ! L’effort de communication est aussi essentiel dans notre action : faire passer les messages à la presse locale, on le fait aussi beaucoup, en essayant de publier des articles dans la presse locale dès qu’on peut, en répondant aux questions, il est important d’essayer de faire comprendre et évidemment sur tout ce qui est réseaux sociaux et ainsi de suite. On y accorde une grande attention pour expliquer la position française et parfois rétablir la vérité, il peut y avoir des choses un peu simplistes qui circulent sur les réseaux sociaux et une des tâches de l’ambassade peut être de s’assurer qu’on comprenne et qu’on explique ce qui est effectivement fait par le gouvernement français.
- L’ambassade de France entretient-elle des relations avec les autres ambassades, je pense notamment à l’ambassade d’Allemagne à deux pas d’ici (mais aussi à l’ambassade de Lettonie en France) ?
Oui, bien sûr. Ici, on a des contacts très fréquents avec les autres ambassades européennes, c’était encore plus le cas pendant la présidence française de l’UE. Avec les Allemands beaucoup, oui, mais pas uniquement. On a aussi des contacts avec d’autres pays, sur certains sujets on se regroupe entre ambassades « affinitaires » pour porter en commun les mêmes questions ou faire des démarches ensemble. En ce moment on travaille beaucoup sur les questions de droit des femmes et de lutte contre les violences où il y a quelques ambassades ici qui sont très engagées, les Néerlandais, les Suédois, et nous …. On travaille aussi beaucoup avec nos homologues de l’ambassade de Lettonie à Paris, sur des sujets très concrets, comme la logistique quand on a des visiteurs. On échange très régulièrement en ce moment puisqu’il va y avoir un forum d’affaires bilatéral. Un tel forum a déjà eu lieu l’année dernière à Riga et cette année, c’est à Paris dans quelques semaines. On travaille beaucoup ensemble parce qu’il faut inviter les bonnes personnes, sélectionner les bonnes thématiques lors d’une journée de débat et d’échange sur des secteurs pointus, des secteurs économiques où les investissements et les échanges pourraient se développer entre des entreprises françaises et lettonnes. Donc on ne travaille pas du tout en isolement ! C’est ce que je répète régulièrement à mes collaborateurs : ici, une journée dans l’ambassade où on travaille tout seul, c’est problématique. C’est un métier où on est toujours en contact.
- Combien de personnes travaillent dans cette ambassade ? On retrouve combien de métiers différents ? L’ambassade est-elle capable de vivre en totale autonomie ?
L’ambassade au sens strict représente une vingtaine de personnes, avec seulement neuf qui sont des fonctionnaires français, les autres étant des agents de l’ambassade recrutés sur place de nationalité lettonne ou française. L’Institut français de Lettonie a 12 agents, on s’y occupe de l’enseignement du français et des activités culturelles. Pour ce qui est des différentes professions, il y a de tout ! On a un monsieur qui est conducteur et s’occupe du courrier, il y a une cheffe cuisinière puisqu’on a aussi une activité assez importante de réception. Vous avez vu que le bâtiment de l’ambassade est exceptionnel, classé monument historique, donc on a aussi un agent qui s’occupe de son entretien. Il y a une chancellerie politique, des agents chargés des questions de communication et des contacts avec la presse. Il y a un service économique, qui est en charge des relations avec les entreprises et du suivi des questions économiques... Parmi les ambassades françaises dans les pays de l’Union européenne, on fait partie des plus petites ambassades, mais on exerce tout l’éventail des fonctions d’une ambassade, la totalité de l’éventail.
- La vie est-elle plus simple aujourd’hui qu’à l’été 1992 où, au sein de l’association étudiante Solidarité Balte vous aviez visité la Lettonie. L’euphorie post- soviétique est-elle redescendue ou au contraire ce sentiment d’appartenance nationale est-il renforcé par les événements actuels ?
Les choses ont énormément changé ici ! La ville s’est ébrouée parce qu’en 92, c’était encore très soviétique, les gens sortaient vraiment de ce qui a été une longue occupation. Après, l’euphorie, je ne sais pas. Il y avait clairement une euphorie, un retour à une liberté retrouvée, il y avait une exaltation. D’un autre côté les années 92, 93, 94 ont été très dures aussi pour toute la population lettonne, parce qu’il y avait une crise économique et la vie au quotidien était très dure. Aujourd’hui, les gens ont un niveau de vie, surtout depuis l’entrée dans l’UE en 2004, sans comparaison avec cette époque qui a été vraiment très rude dans ce pays.
Clairement la forte mobilisation en soutien à l’Ukraine est aussi une attitude qui repose sur une proximité, un sentiment de fraternité de pays qui ont eu une histoire douloureuse commune. Vous avez sans doute remarqué que la façon dont est ressentie l’agression de la Russie en Ukraine domine complètement le débat public ici. Il y a une mobilisation de la société, des milieux politiques comme de la société civile, beaucoup plus forte et émotionnelle que ce qu’on voit en France notamment.
- Pouvez-vous nous parler de l’évolution du droit des femmes depuis la chute de l’URSS (on a pu en voir une très forte dégradation en Pologne, avec par exemple la sévère remise en question du droit à l’avortement.) ? Vous êtes justement très sensible à la thématique du droit des femmes, alors quelle est la place de la femme en Lettonie, ses droits sont-ils respectés ?
Un des résultats de cette longue période d’occupation soviétique ici, c’est qu’en termes d’égalité professionnelle, les femmes ont été logées à la même enseigne que les hommes sur un certain nombre de sujets... Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui nous sommes confrontés dans toute l’Europe aux mêmes sujets : les violences domestiques, le sexisme, les discriminations... Les questions se posent dans les mêmes termes même dans un pays où les femmes ont une vraie présence politique et dans la vie économique. Il y a en Lettonie une présence ancienne des femmes en politique et à la tête de l’Etat : il y a eu une femme présidente de la République, celle qui a sans doute été la plus populaire, qui a exercé deux mandats de suite, il y a eu une femme premier ministre, il y a des femmes présidentes du parlement. Enfin depuis longtemps, ce n’est plus un sujet, il n’y a même plus de commentaire sur le fait que ce soient des femmes qui arrivent à de hauts postes. Cela n’empêche pas des blocages. La Lettonie a signé la convention du Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul, sur les violences domestiques mais la ratification n’est toujours pas acquise au parlement. Il y a un blocage politique qui vient de partis politiques, notamment ceux hostiles aux droits des personnes LGBT, qui utilisent cette convention comme un épouvantail, même si la convention d’Istanbul est centrée sur les violences familiales et conjugales et la façon de les éliminer… Ce blocage n’est d’ailleurs pas spécifique à la Lettonie. J’ai eu l’occasion de parler récemment avec la secrétaire parlementaire du ministère des affaires étrangères, la numéro 2 du ministère des affaires étrangères, sur la présence des femmes dans la diplomatie lettone et proportionnellement, il y a plus de femmes parmi les ambassadeurs et ambassadrices de Lettonie que parmi leurs homologues français. Les choses se passent de façon assez naturelle au niveau du recrutement en Lettonie, alors qu’on a été obligé en France d’avoir des politiques très volontaristes en imposant des quotas et des normes. Il y a maintenant 45 à 46 pour cent des postes d’ambassadeurs qui sont occupés par des femmes ici, on en est loin encore en France.
- Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé,
Je vous en prie.
INTERVIEW de l’Ambassadrice de France en Lettonie, Mme Aurélie ROYET-GOUNIN par François WALD, étudiant L3 LEA en mobilité en Lettonie